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I am not the one shouting
6 décembre 2010

José Saramago. Les intermittences de la mort

 

Les prix Nobel de Littérature moi ça m’emmerde.

Donc dès qu’un auteur porte cette mention, je ne l’achète surtout pas. Prix Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis, Interallié, Académie Française itou. Parce que je trouve – sans volonté aucune d’offusquer l’aléatoire auditoire ici présent – que généralement c’est du pipi de chat récompensé surtout pour ce qui s’est passé sous une table. Oui monsieur, c’est vulgaire ! C’est indécent ! C’est lamentable !

* sifflets et houhoutements de circonstance *

Je propose une minute de silence pour la littérature française qui meurt chaque jour entre les mains de Pancol, BHL et autres Levy au grand damne de Jean-Saul Partre qui de son œil torve contemple le Figaro en rendant son déjeuner sur Les écureuils de Central Park sont Tristes le Lundi : « Le triomphe de la culture qui réconforte » (Le Figaro, 5 juillet 2010).

Amen.

(En même temps, le Figaro, hein. Bon.)

Oui, je me permets des commentaires hautement politiques, je préfère le vomis de Partre et le Goulag sibérien au prémâchage culturel qu’on nous impose à grand coup de quatrièmes de couvertures en patchwork rutilant sur fond de crocodiles qui pleurent pour cause d’abrutissement général de l’humanité en ces temps troublés où l’économie mercantile et la loi du paraître métamorphosent nos joies en Iphone touch huitième génération et nos déceptions en statuts facebookiens, dans ce monde haîneux où il est préférable de lire Cosmopolitan à Anna Karénine, où l’intelligence fond comme banquise, où les radios nous servent de rances déjections sonores ad libitum, où la jeune génération d’incultes qui deviendra la société de demain promène ses mèches en gelée et ses pantalons trop serrés en écrivant  “ ouèch tro lol XPLDR t tro bone tu ve me sussé ? <3 ”.

Mais je mégare.

Et puis récemment  Jean-Saul me jette un coup d’œil – toujours torve – au détour d’une librairie helvétique et qu’aperçois-je ? Un auteur que je ne connais point.

Oui, alors oui, je ne connais rien, scio me nihil scire, merci Socrate tu peux te rasseoir.

Nonobstant, je m’enfonce prestement dans l’échoppe susnommée et découvre avec une joie proche de l’orgasme oculaire José Saramago, Julie, Julie, José, enchantée.

Puis je remarque que Monsieur est prix Nobel de Littérature. Tudieu. Je m’effondre, livide, sur le plancher.

Pourtant, je me surprends à me monologuer que cet auteur est fascinant.

J’achète le livre, Jean-Saul est content, Socrate est toujours barbu, la faute inavouable de ne pas connaître Saramago est réparée, le monde peut se remettre à tourner, BHL peut aller se recoucher.  

Tout ça pour dire que Les intermittences de la mort, comme son nom l’indique, raconte comment la Mort a décidé de ne plus faire mourir. Et après des réjouissances bien naturelles, les compagnies d’assurance et de pompes funèbres font faillites, la Sainte Eglise se voit périr, le gouvernement est dépassé et les familles emmènent leurs presque-morts-mais pas- tout-à-fait mourir de l’autre côté des frontières. Et puis, un jour, la Mort revient…

SARAMAGO

 

Première phrase : “Le lendemain, personne ne mourut. Ce fait, totalement contraire aux règles de la vie, causa dans les esprits un trouble considérable, à tous égards justifié, il suffira de rappeler que dans les quarante volumes de l’histoire universelle il n’est fait mention nulle part d’un pareil phénomène, pas même d’un cas unique à titre d’échantillon, qu’un jour entier se passe, avec chacune de ses généreuses vingt-quatre heures, diurnes et nocturnes, matines et vespérales, sans que ne se produise un décès du à une maladie, à une chute mortelle, à un suicide mené à bonne fin, rien de rien, ce qui s’appelle rien.”

Au hasard : “Le problème de plus épineux, et que nous nous sentons obligés d’attirer sur lui l’attention de qui de droit, c’est que, avec le passage du temps, non seulement il y aura de plus en plus de pensionnaires âgés dans les foyers, mais aussi il faudra de plus en plus de personnel pour s’en occuper, le résultat étant que le rhomboèdre des âges sera rapidement cul par-dessus tête, avec une masse gigantesque de vieillards au sommet, une masse toujours croissante, engloutissant comme un python les nouvelles générations, lesquelles, transformées à leur tour en personnel administratif et d’assistance dans les foyers, après avoir gaspillé leurs meilleures années à soigner des vioques de tous les âges, d’une âge normal à un âge mathusalémien, des multitudes de pères, grands-pères, arrière-grands-pères, arrière- arrière-grands-pères, arrière- arrière- arrière-grands-pères, arrière- arrière- arrière- arrière-grands-pères, arrière-arrière- arrière- arrière- arrière-grands-pères, et ainsi de suite ad infinitum, les uns après les autres, comme feuilles se détachant des arbres et tombant sur les feuilles des automnes précédents , mais où sont les neiges d’antan, ils rejoindront la fourmilière interminable de ceux qui peu à peu passent leur vie à perdre leur cheveux (…)”

Dernière phrase : “Le lendemain, personne ne mourut.”

 

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